25 janvier 2019 de 16h00 à 18h00
Conférence de Marjolaine Poirier (Étudiante au doctorat, Histoire de l’art, UQAM) et Michelle Macleod (PhD Student, Art History, Concordia)
UQAM, 315 rue St Catherine est, Salle R-4240, 4e étage du pavillon R
Par Méline Gangloff (étudiante en histoire de l’art UQAM)
Cette rentrée 2019 du RAA19 a pris la forme d’une conférence à deux voix : les étudiantes au doctorat en histoire de l’art, Marjolaine Poirier (UQAM) et Michelle Mcleod (Université Concordia), ont communément présenté leurs recherches académiques respectives. L’impact des technologies du regard dans le façonnement d’une imagerie canadienne durant la seconde moitié du XIXe siècle prend intégralement place dans les investigations historiques de ces deux chercheuses. Le thème de « la visite princière » concentre des stratégies iconographiques impliquant des dispositifs au cœur de leurs travaux : le stéréoscope d’une part, et le leggotype de l’autre. La conférence a reproduit l’approche originale employée par ces étudiantes dans leurs thèses, qui proposent de comprendre les cultures visuelles du XIXe siècle à partir des technologies du regard qui leurs sont associées. Ainsi, la conférence fut articulée en deux temps. Les conférencières ont procédé à une introduction des visites princières britanniques au Québec par une définition technique du stéréoscope et du leggotype tout en l’intégrant au récit de leurs avènements sur le sol canadien. Cette démarche a permis de préciser la place essentielle de ces dispositifs techniques lors des visites royales des princes Albert (1850) et Arthur (1869), dont l’étude visuelle constitue la deuxième partie de cette conférence.
Tout en présentant un résumé bref du déroulement de la conférence, ce compte-rendu souhaite accorder une attention particulière à des notions postcoloniales qui y furent évoquées. Il s’agit ainsi de mettre en valeur leur qualité transposable dans le champ des recherches en cultures visuelles du XIXe siècle.
Ainsi, Marjolaine Poirier a expliqué le stéréoscope tel un dispositif qui matérialise et diffuse le regard. En contextualisant son utilisation sur le territoire colonisé canadien, elle a démontré que la pratique stéréoscopique participa à la confection d’une imagerie nationale. L’étude de cas choisie par Marjolaine Poirier (la visite du Prince de Galles en 1860) exemplifie l’enjeu politique du procédé stéréoscopique. Le récit de la carrière du photographe écossais William Notman lors de sa résidence au Canada a effectivement permis d’exposer l’intérêt impérial de la couronne pour la photographie. À l’instar de la pratique picturale, les points de vue stéréoscopiques fabriquèrent une imagerie pittoresque et générique du territoire canadien, principalement composée de chutes et de ponts. Cette standardisation du paysage canadien opérée par le stéréoscope participa également à homogénéiser la perception du territoire dans l’ensemble de l’empire. Les analyses formelles de la production stéréoscopique ne se sont pas limitées pas aux images ; en observant les textes qui les accompagnent, Marjolaine Poirier a révélé que l’inscription des armoiries de la couronne britannique au revers des plaquettes marquerait l’appartenance royale du paysage photographié. Tout en employant une rhétorique visuelle similaire, la production photographique en série dans des studios tels que celui de Notman la distinguerait cependant de la peinture coloniale. En effet, l’exposé de Marjolaine Poirier a précisé la spécificité matérielle de l’imagerie coloniale développée par ce dispositif photographique. La doctorante a partagé avec l’auditoire les découvertes de son enquête archivistique des collections accessibles (et inaccessibles) du Musée McCord. Ainsi, nous comprenons que l’événement de la visite princière généra également la circulation de malles « souvenir » afin de transporter des plaquettes stéréoscopiques produites pour l’occasion. Cette trouvaille lui permet de souligner la signifiance de la visite du prince de Galles dans la culture visuelle et matérielle canadienne de la seconde moitié du XIXe siècle et d’illustrer la marchandisation royale du regard impérial.
Dans son exposé, Michelle McLeod s’est également attachée à expliquer la confection transatlantique d’une imagerie nationale canadienne. En s’intéressant à la culture de l’imprimé, elle a pu déterminer une émulation des procédés employés par la presse britannique et canadienne à la lumière de la visite du Prince Arthur sur le sol canadien en 1870. Ainsi, en retraçant l’histoire du leggotype développé par William Leggo et employé dans les studios de l’imprimeur George-Edouard Desbarats, Michelle McLeod est parvenue à démontrer que similairement à l’implantation de la London Stereoscopic Society en Amérique du Nord en 1857, l’émergence d’une presse sur le territoire canadien assura la diffusion d’une imagerie pittoresque et précisa une pratique photographique spécifiquement canadienne. Une lecture comparative des journaux l’Opinion publique et Canadian Illustrated News au London Illustrated News a permis à Michelle McLeod d’articuler cette étude de cas et d’identifier un intérêt des producteurs en série pour une esthétique de la gravure. De façon métonymique, cette analyse de la presse a également permis à Michelle McLeod de constater que la revue du dispositif photographique et la qualité de l’imprimé employé pour documenter la visite du prince constituèrent un sujet à part entière des parutions de 1870. L’expertise du leggotype de la conférencière a donc permis aux participants de comprendre l’enjeu culturel du recours à cette technique.
La conférence s’est dénouée par une séance de questions de l’auditoire auxquelles ont Marjolaine Poirier et Michelle McLeod répondu ensemble. Cet unisson a mis en valeur les conclusions communes des conférencières sur le thème de la visite princière : l’analyse des technologies du regard pour documenter la présence impériale sur le territoire canadien indique les apports matériel et rhétorique de ces dispositifs visuels. L’ancrage technique de ces exposés a permis de contextualiser pertinemment le récit de la visite princière afin de retracer le façonnement des identités impériale et canadienne. En concevant une exploration historique plus approfondie de ces études de cas, il serait intéressant de poursuivre cette approche comparative sur le thème général de la visite princière dans un plus grand nombre de contextes, afin de rendre compte d’un rapport plus complet et d’amorcer un propos plus général sur l’iconographie impériale qui semble, en effet, s’être imposée à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.