5 novembre 2024 de 17h00 à 18h30
Conférence de Ralph Ghoche (Barnard College, Columbia University)
UQAM, Département d’histoire de l’art, salle facultaire, R-4150
Adrien Dauzats, Le passage des Portes-de-Fer, (1839)
Par Andréanne Martel (Doctorante, Histoire de l’art à l’UQAM et géographie à l’Université de Genève)
Mercredi le 5 novembre 2024 à 18h à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a eu lieu la conférence Resurrecting the Quarries of Rome. Algerian Onyx and French Mineralogical Surveys in the 19th Century présentée par Ralph Ghoche, historien de l’architecture et de l’urbanisme du 19e siècle et professeur au Département d’architecture au Barnard College à l’Université de Columbia. Les recherches actuelles de Ghoche portent sur le colonialisme français en Algérie, principalement après la conquête de l’Algérie en 1830. Dans cette présentation, Ghoche proposait une histoire de l’usage de l’onyx extrait en Algérie, dans la construction architecturale.
Dès le début de la colonisation en 1830, les Français considéraient l’Algérie comme un territoire riche en ressources et doté d’un potentiel de régénération de l’hexagone[1]. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les exportations augmentaient ; parmi les matériaux exportés se trouvaient ceux destinés à l’industrie de la construction, dont l’onyx algérien, particulièrement apprécié pour ses qualités matérielles et esthétiques ; une roche calcaire dont les couleurs vibrantes et la translucidité remarquables faisaient d’elle une pierre prisée pour des bâtiments renommés. Ghoche présentait des projets destinés à mettre en valeur cette pierre, dont la bibliothèque de livres rares et de manuscrits Beinecke à Yale conçue par l’agence d’architectes Skidmore, Owings and Merrill. Cette pierre, utilisée pour les fenêtres de la bibliothèque dès le début de la conception du bâtiment, séduisait par ses couleurs vibrantes et sa translucidité. Il mentionnait que, contrairement au projet achevé, dans le modèle initial, l’onyx était divisée en quatre panneaux par fenêtre ; un cadre bidimensionnel accentuant la profondeur des motifs de la pierre et créant l’impression de nuages gonflés ou de fumée capturés dans un cadre architectural. L’usage de l’onyx d’Algérie dans l’œuvre de par Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) pour le pavillon allemand de l’Exposition internationale de Barcelone de 1929 était aussi présenté. Selon Ghoche, l’utilisation de l’onyx permettait aux architectes de s’intéresser au temps géologique et à l’authenticité des matériaux, distinguant ainsi leur travail de l’ornementation historique. Les qualités visuelles de la pierre établissaient alors un lien indexical avec leur site d’extraction ; son utilisation conférait à la pierre une valeur de marchandise mondiale, suggérant à la fois ses origines géologiques et un monde de plus en plus interconnecté.
Esra Stoller Associates. Theodore Conrad’s onyx model of the Beinecke Library, Yale University, 1960. Avery Drawings and Archives.
Cette présentation avait aussi pour objectif de démontrer que la découverte des carrières d’onyx en Algérie revêtait une importance particulière pour la capitale française à l’époque, qui subissait des transformations urbaines majeures sous Napoléon III. La conquête française de l’Algérie ayant débuté en 1830, de 1840 à 1842, le gouvernement français lançait de vastes études et a fait de la Méditerranée un nouveau domaine de recherche scientifique ; des officiers militaires et des scientifiques localisaient, collectaient, identifiaient et catégorisaient tous les aspects des peuples, du territoire et de l’architecture de l’Algérie et donc, les ressources à exploiter. Des inventaires détaillés de la flore, de la faune et des gisements minéraux ainsi que des cartographies des routes et du terrain étaient alors entrepris. Ghoche présentait entre autres la première carte géologique représentant l’étendue de l’Algérie réalisée par Émilien Jean Renou (1815-1902) au début des années 1840 et le travail de l’ingénieur des mines et membre du mouvement saint-simonien Henri Fournel (1799-1876), ayant exploré les ressources minières de l’Algérie de 1843 à 1846. Ghoche expliquait que le mouvement saint-simonien souhaitait transformer le globe en un vaste réseau industriel et de communication pour établir une ère de paix et de prospérité éternelles et que le bassin méditerranéen y était un point central ; les adeptes du saint-simonisme le percevant comme un moyen de fusionner un Orient « féminin, fertile et passif » avec un Occident « rationnel, entreprenant et masculin ». Le travail de Jean Baptiste Del Monte (1822-1893), géologue italien installé à Alger en 1843 ayant identifié des gisements d’onyx, y était aussi présenté.
Un autre objectif de la présentation était de démontrer que les anciennes carrières sur le territoire national français et l’ouverture de nouvelles carrières permettaient de concurrencer les pierres étrangères qui arrivaient en France et ce, à partir de l’étude de l’histoire matérielle de l’architecture du tombeau de Napoléon réalisé par l’architecte Louis Visconti (1791-1853). Avec l’usage de plusieurs pierres françaises, le tombeau illustrait l’initiative de l’empereur visant à promouvoir l’utilisation du marbre français dans l’espace public. Son architecture avait été mise à contribution pour promouvoir des objectifs nationaux, économiques et industriels. Ghoche présentait également la façon dont les publications d’Émile Prisses d’Avennes avaient alimenté l’enthousiasme pour l’étude des marbres nationaux et étrangers et accordaient une attention particulière à Rome en tant que précédent pour la France ; détaillant ainsi les réseaux d’extraction de pierres qui s’étendaient à travers l’empire, allant de l’Asie et de l’Égypte à l’Afrique du Nord et à l’Europe, avec un accent particulier sur le Moyen-Orient et la Gaule ancienne. Il démontrait également qu’Émile Prisses d’Avennes affirmait que, pour les égyptologues, les pierres algériennes en sont venues à symboliser la renaissance des réseaux impériaux romains et leur domination sur le monde méditerranéen. Enfin, lors de cette présentation, Ghoche retraçait l’usage de l’onyx dans la construction de l’Opéra de Garnier et un buste polychrome sculpté par Charles Cordier (1827-1905) lors d’une mission gouvernementale française en Algérie en 1856 ; ces pierres algériennes utilisées dans l’architecture impériale étant des signifiants manifestes et la promesse d’un monde cosmopolite de plus en plus dominé par les économies coloniales et extractives.
[1] Par « hexagone », le conférencier entendait la France métropolitaine, matériellement et économiquement, pour concurrencer la domination britannique sur le commerce méditerranéen