Nouvelles recherches sur l’architecture et le paysage au Québec

24 mars 2023 de 09h00 à 15h00

Journée d’étude organisée par Christina Contandriopoulos, Pierre-Édouard Latouche et Louis Martin 

UQAM, 315, rue Sainte-Catherine Est, Salle facultaire, Local R-4150, 4e étage du pavillon R

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 Illustration: Emmanuelle Bergeron – Cartographie des fumoirs de l’ile Verte (2022)

Par Andréanne Martel (Doctorante, Histoire de l’art, UQAM)

 La journée d’étude interdisciplinaire Nouvelles recherches sur l’architecture et le paysage au Québec, organisée par Christina Contandriopoulos (cochercheuse au LHPM), Pierre-Édouard Latouche et Louis Martin, tous les trois professeur.e.s au département d’histoire de l’art, a eu lieu le vendredi 24 mars dernier à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Cette journée rassemblait les présentations de huit conférencier.e.s diplômé.e.s en histoire de l’art et en design de l’environnement à l’UQÀM. L’objectif de l’événement était de favoriser les échanges sur l’architecture et le paysage au Québec entre les étudiant.e.s et les professeur.e.s des différents programmes et départements de l’université et de partager ces recherches au public. Le programme de la journée étant divisé en trois parties, la première avait pour titre « Construction du paysage » et rassemblait les conférences de trois doctorant.e.s en histoire de l’art, Andréanne Martel (membre du LHPM), Étienne Morasse-Choquette et Laure Bourgault.

Dans un premier temps, la présentation d’Andréanne, Le jardin des Canadas, proposait une étude de la constitution des savoirs géographiques de ce que l’on nomme aujourd’hui « Québec » et « Canada » et retraçait l’héritage complexe du colonialisme franco-britannique dans l’aménagement du territoire, à travers l’analyse des cartes de Joseph Bouchette (1774-1841), arpenteur-général du Bas-Canada de 1804 à 1840. Andréanne démontrait comment le territoire national s’est construit, soit à partir d’échanges et de tensions, d’hybridations et de conceptions européennes du territoire inspirées de la culture classique et de l’art du jardin anglais. Deux types de savoirs dont les cartes sont les traces étaient présentés ; le premier étant le résultat d’un relevé technique, informant sur la géographie et les distances, et le deuxième étant issu d’une collecte de savoirs menée auprès des communautés autochtones et « canadiennes-françaises »[1], informant sur les spécificités du territoire et de la population ; ces derniers se traduisant notamment dans la toponymie. Alors que pour les communautés autochtones les noms de lieux, les histoires et les légendes donnent un ancrage et un sentiment d’appartenance à ces lieux – ceux-ci localisant l’histoire et maintenant une tradition orale de transmission des connaissances – Andréanne invitait à re-voir les cartes par le biais de l’oralité, du sonore. Considérer ces histoires orales permettant alors de proposer des contre-histoires aux représentations dominantes historiques d’un événement.


Joseph Bouchette, Topographical map of the Province of Lower Canada, 1815, 69.22 x 129.54 cm Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

La présentation d’Étienne Morasse-Choquette s’intitulait Dans l’ombre d’Olmsted : quel futur pour la théorie de l’architecture paysagère? Alors que l’architecte paysagiste Frederick Law Olmsted est connu surtout pour son travail à Central Park à New York ou encore pour son plan d’aménagement pour le parc du Mont-Royal à Montréal, Étienne s’intéressait à sa conception psychologique de l’architecture paysagère. Olmsted était convaincu que l’environnement urbain influençait inconsciemment les comportements des citadins. La présentation d’Étienne focalisait sur sa « théorie de l’habitat », laquelle semble avoir orienté l’ensemble de son travail dès Prospect Park (1866). Selon le doctorant, Olmsted a préfiguré certaines approches cognitives du paysage et de l’architecture des dernières décennies, notamment celle de Jay Appleton (1975) ainsi que la psychologie évolutionniste d’Herbert Spencer. Étienne démontrait qu’il en ressort une esthétique normative et rationaliste du paysage, qui s’affirme à travers un projet de réforme de l’espace urbain misant sur les instincts partagés par tous à l’égard de l’environnement comme habitat, ainsi que sur une certaine notion de confort psychologique.

Lors de sa conférence Par-delà le rêve hydroélectrique : le barrage comme monument et performance, Laure présentait une étude critique des représentations médiatiques ayant accompagné le développement hydroélectrique du nord du Québec, en problématisant l’héritage de la fétichisation nationaliste des barrages et leur rôle dans l’édification d’une modernité québécoise. Plus que des constructions techniques, les barrages hydroélectriques y étaient considérés comme des monuments et des performances, d’une certaine conception du progrès ; comme des objets esthétiques, médiatiques et politiques. Laure affirmait que leur abondante « mise en images » vient camoufler l’invisibilisation parallèle des réseaux électriques et leur rôle dans la dissémination du pouvoir politique et social. Mis en contraste avec cet ensemble d’images promotionnelles, les documents techniques racontent quant à eux une histoire tout autre du développement hydroélectrique. La doctorante contrastait également le récit nationaliste québécois aux récits de résistance portés par des autrices et militantes autochtones comme Winona LaDuke (Ojibwe) et Leanne Betasamosake Simpson (Michi Saagiig Nishnaabeg) afin de proposer d’autres relations au territoire, invitant à penser aux stratégies spéculatives et de reconnaissance juridique des droits territoriaux ancestraux, par-delà le rêve hydroélectrique.

« Le Québec commence à MANIC », La Patrie, 4 au 10 octobre 1962.

La deuxième partie de la journée portait sur la documentation d’institutions, avec les présentations de Frédérique Davreux-Hébert et d’Axelle Chevalier-Héroux, toutes deux étudiantes à la maîtrise en histoire de l’art. La présentation de Frédérique, L’architecture et le design du Studies Building, proposait un détour aux États-Unis, en présentant le lien entre l’espace bâti et le modèle pédagogique du Black Mountain College (BMC), un collège américain progressiste du milieu du 20e siècle en Caroline du Nord. À travers l’analyse d’un régime spatial propre au collège – soit la conception, la construction et l’occupation de son environnement bâti – la conférence de Frédérique traçait des relations étroites avec les principes centraux à la philosophie éducative mise en œuvre au BMC. L’étudiante s’est notamment concentrée sur l’étude d’un bâtiment emblématique pour le collège, le Studies Building afin de démontrer les bases du régime spatial. Celui-ci étant construit par et pour la communauté, elle soutenait que ce bâtiment incarne plusieurs éléments fondamentaux de la pédagogie du collège, dont la démocratie, l’égalité et l’agentivité de l’élève. Par un parcours au sein de l’espace du bâtiment, l’attention était portée sur des éléments architecturaux – l’orientation du bâtiment, la distribution intérieure et architectonique – et de design, tels que le mobilier et l’aménagement de l’espace personnel. L’analyse d’un bureau lui a entre autres permis de présenter une étude de la relation entre les professeur.e.s et les étudiant.e.s, à la place accordée aux femmes dans le milieu scolaire, ou encore à la pratique artistique des élèves.

Studies Building, Lake Eden Campus, ca. 1942. Western Regional Archives, State Archives of North Carolina.

La présentation d’Axelle, Comme un laboratoire de muséologie moderne : le Musée d’archéologie de l’Est du Québec portait sur l’architecture du Musée d’archéologie de l’Est du Québec inauguré en 1975 à Rivière-du-Loup. Axelle présentait un parcours de l’organisation de ses espaces d’exposition, de recherche et de conservation, et une présentation des technologies et équipements muséologiques essentiels à l’institution. La conférencière s’intéressait, par exemple, à la fonction des différentes salles du musée, à la circulation du public, à la matérialité de l’espace bâti ainsi qu’aux systèmes de contrôle des conditions atmosphériques du musée, afin de démontrer que le programme du musée a été réfléchi dans l’objectif de proposer un bâtiment à la hauteur des derniers aménagements muséologiques de l’époque. Alors qu’aucune recherche n’a été menée jusqu’à aujourd’hui sur cette institution, la présentation de l’étudiante visait à démontrer qu’elle occupe une place importante dans l’histoire de l’architecture d’exposition au Québec, car elle amorce une réflexion typologique sur l’incarnation, par son architecture, de ce qu’est un musée moderne pour la société québécoise.

Lagacé, Massicotte et Casgrain (architectes), Musée d’archéologie de l’Est du Québec, Circa 1980, Photographe inconnu.e. Archives du Musée du Bas-Saint-Laurent.

La troisième et dernière partie de la journée portait sur les relevés d’architectures vernaculaires et rassemblait les présentations de Sophie Quirion (maîtrise en histoire de l’art), Frédérik Guérin (doctorat en histoire de l’art) et Emmanuelle Bergeron (maîtrise en design de l’environnement). D’abord, la présentation de Sophie, La Beauce du 19e siècle : une région propice à l’essor du genre Boomtown, rendait compte de la dynamique des influences culturelles et économiques entre la Beauce et l’État du Maine, afin de soulever l’hypothèse que cette région québécoise était propice à la dissémination du genre Boomtown, grâce à des va-et-vient transfrontaliers et au développement de l’industrie de transformation du bois. Sophie démontrait que des routes transfrontalières – la route Kennebec devenue carrossable en 1830 et le réseau ferroviaire du Québec central terminé en 1895 – ont eu un impact sur le paysage bâti de la Beauce, tant sur les méthodes constructives qu’au niveau stylistique. Elle affirmait que la construction rapide des villages après l’arrivée du chemin de fer, l’essor des moulins à scie ajoutés à la facilité des échanges frontaliers ont eu pour conséquence le développement d’une architecture d’influence américaine sur tout le territoire de la Beauce. La conférencière envisageait ainsi l’architecture Boomtown comme un vernaculaire industriel, répondant à de nouveaux besoins économiques et à une nouvelle identité beauceronne.