(Political) landscape with figures: public sculpture and contested space after the Paris Commune​

11 mars 2025 de 14h00 à 17h00

Conférence de Keith Bresnahan (OCAD University

UQAM, Département d’histoire de l’art, local R-4215

Giuseppe de Nittis, Place des Pyramides (1875)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Giuseppe de Nittis, Place des Pyramides (1875). Musée d’Orsay, Paris.
 

Par Alec White (Doctorant, Histoire de l’art, UQAM)

Le 11 mars 2025, le RAA19 accueillait le professeur associé en histoire et théorie du design de l’Université OCAD de Toronto, Keith Bresnahan, venu présenter sa conférence intitulée « (Political) landscape with figures : Public sculpture and constested space after the Paris Commune ». Fruit d’une recherche avancée et menée selon une méthodologie réunissant les champs de l’architecture, de l’environnement bâti et de l’histoire des émotions, Bresnahan a détaillé la manière dont l’édification de statues au sein de l’espace public parisien à partir de 1870 et les diverses réactions à leurs égards témoigne de l’importance accordée à de tels monuments de la part des différentes forces politiques en place.

En introduction, Bresnahan indique que son intérêt pour l’architecture se concentre surtout sur la manière dont celle-ci est perçue, discutée, mais aussi contestée par différentes personnes et différentes organisations politiques. Dès lors, la question des émotions offre un lieu pour identifier et réfléchir aux différents rapports qui se forment à partir de l’environnement bâti. Or, Bresnahan prit soin de souligner que les émotions s’inscrivent toujours dans un contexte social et historique précis. C’est ici que l’approche historique permet de situer les différentes émotions au sein de contextes historiques différents, tout en permettant de penser l’actualité de phénomènes actuels à l’égard du passé. En ce sens, le conférencier rappelle qu’encore aujourd’hui, les événements et réactions entourant le déboulonnement de différentes statues par des groupes politiques antiracistes et anticoloniaux en Amérique du Nord, les tensions sociales et l’importance accordée à ces monuments persistent.

Enchainant avec le cœur de sa recherche, Bresnahan rapporte que la lecture des archives de la période entourant la Commune de Paris (1871) témoignent de l’importance attribuée par différents acteurs aux statues qui viendront à être érigées à la suite de la chute du Second Empire et de la proclamation de la 3e République en 1870. Ainsi, en s’intéressant aux discours entourant les nombreuses statues qui seront construites jusqu’en 1900, Bresnahan mobilise les concepts de régime émotionnel et de régime politique qui se définissent mutuellement. En ce sens, le contexte entourant les années 1870 offre plusieurs exemples où différents camps se disputent la conquête de l’espace public au moyen de statues servant à consacrer et à transmettre les idéaux qu’ils portent — réactionnaire, conservatrice, républicaine, communarde. Avec la consécration de la 3e République dans les décennies qui suivent vient la conviction que le nouveau régime doit former des citoyens qui se rattachent sur le plan politique et sur le plan émotionnel à ce nouveau pouvoir. Sur ce point, les statues permettront justement de créer de nouvelles idoles et de nouveaux héros pour les citoyens de la république.

Ensuite, Bresnahan s’est concentrée sur différentes études de cas pour lesquelles l’on pouvait constater certaines tensions entre différents groupes à l’entour du choix du personnage historique qui serait représenté sous forme de statue, son apparence, ainsi que l’endroit où celle-ci serait érigée. C’est en 1874 que le gouvernement commande une première statue, soit celle de Jeanne d’Arc (1412-1431) et qui sera placée à la Place des Pyramides de Paris. Œuvre du sculpteur Emmanuel Fremiet, la figure de Jeanne d’Arc restera pour les décennies et jusqu’à aujourd’hui un symbole où la gauche et la droite, voire l’extrême droite, se disputeront le sens et la signification. Initialement œuvre de camp républicain modéré, la statue de Jeanne d’Arc est dès 1913 fréquentée par l’extrême droite, alors que la Ligue des Patriotes s’y rassemble à ses pieds. Aujourd’hui, l’extrême droite française se rassemble annuellement le 1er mai sur le parquet de la Place des Pyramides, consacrant l’appropriation de la figure de Jeanne d’Arc par les forces réactionnaires. Pour ajouter à sa réflexion, Bresnahan a présenté la toile Place des Pyramides, produite en 1875 par le peintre Giuseppe De Nittis, et sur laquelle on perçoit que la statue est cette fois-ci présentée sous un autre mode, notamment en ce qui a trait à son emplacement spatial avec les ruines d’un pavillon des Tuileries — partiellement détruit par la Commune et ici couvert d’un échafaudage, en cours de reconstruction — témoignant d’une mobilisation alternative de cette figure. Keith Bresnahan a ensuite présenté le cas d’une statue représentant la République, érigée en 1878 à l’occasion de l’ouverture de l’Exposition universelle. Œuvre de Jean-Baptiste Clésinger, cet exemple témoigne de dissensions politiques entre la ville de Paris, plus radicale dans son soutien à la République, et l’État français plus conservateur. Un cas similaire et soulevé par Bresnahan est celui de la Statue de la République, œuvre de Léopold Morice érigée en 1883 sur la place de la République. À l’époque, l’enjeu du litige tenait à la présence du bonnet phrygien ou « bonnet de la liberté » sur la tête de la statue, vue par l’État comme un symbole trop révolutionnaire et trop républicain.

« M. Lépine devant le Penseur de Rodin, voile d’un crêpe. » Les Funérailles de M. et Mme Berthelot au Panthéon. L’Illustration [journal hebdomadaire] 30 Mai 1907. 

 

La présentation s’est terminée avec le partage d’exemples où l’on voyait des citoyens non élus interagir de différentes façons avec des monuments. Par exemple, on sait qu’à certains moments des citoyens de la nouvelle république venaient couvrir de vêtements et d’objets les statues, dans le but de souligner une journée spéciale ou d’exprimer un chagrin collectif, voire national. Sans être une statue comme telle, le cas du Mur des Fédérés fut abordé, montrant une nouvelle fois comment, au fil du temps, différentes sensibilités politiques se positionneront face à ce monument. Chose sûre, la conférence de Keith Bresnahan montre que la société parisienne d’après 1870 reconnait à ces statues et à ces monuments une valeur, voire un pouvoir, et que l’attention portée aux émotions que de telles constructions génèrent permet de penser l’architecture et l’environnement bâti sous un angle qui soit riche.